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L'ÉVEIL DU MOI CHRISTIQUE

Conférence donnée par Rudolf Steiner

à Kassel, le 24 juin 1909.

La date du 24 juin, fête de saint Jean-Baptiste, a toujours été un grand jour pour la majeure partie de l’humanité. Dès les temps reculés des anciens Perses, on célébrait, à un jour correspondant à celui-Ià, la fête du « baptême d’eau et de feu ».

A un même jour de juin, la Rome antique glorifiait Vesta, à nouveau une fête du baptême du feu. Et si nous remontons dans le passé de l’Europe jusqu’aux temps ou le christianisme n’existait pas, n’était pas encore répandu, nous y trouvons aussi une fête de juin qui coïncide avec le moment de l’année où le soleil commence à perdre la force qu’il dispensait à toute la végétation terrestre. Cette &fecirc;te de juin marquait pour tous les peuples du Nord le temps où commençait le déclin du dieu Baldour, qu’ils se représentaient uni au soleil.

Ce jour de la Saint-Jean nous rappelle qu’un précurseur a devancé l’apparition de la plus grande personnalité qui ait jamais pris part à l'évolution humaine. Et par là nous touchons déjà à un fait important qui sera le point de départ de ces conférences.

Au cours de l'évolution humaine, certains événements essentiels se produisent qui jettent autour d'eux une lumière plus significative que d'autres. Il y a des hommes qui, en un certain sens, les connaissent et les annoncent à l’avance, ce qui prouve qu`ils n'arrivent pas fortuitement. Ceux qui peuvent en effet percevoir dans son ensemble l’histoire humaine et en comprendre le sens, savent dans quel sens il faut agir pour que ces événements puissent avoir lieu.

Le Précurseur du Christ Jésus fut un de ceux qui purent, par un don spirituel particulier, plonger un regard dans l’enchaînement de l’évolution humaine. Par cela même, il fut possible au Précurseur de préparer, d'aplanir les voies pour le Christ. Ce n`est certes pas sans raison que dans la plus grande partie de l’humanité on a divisé les âges en ère préchrétienne et ère chrétienne. Les peuples qui ont fait cette distinction prouvent qu'ils ont pressenti l'importance capitale du mystère du Christ. Mais la vérité devra continuellement Être annoncée aux hommes sous de nouvelles formes et en d'autres termes. Car les besoins de l'humanité changent d'époque en époque. La nôtre réclame, sous un certain rapport, une révélation nouvelle, une expression nouvelle de cet événement décisif pour toute l'évolution : L’événement christique. C'est cette nouvelle forme d'annonciation que l'Anthroposophie voudrait apporter.

La révélation anthroposophique du Mystère du Christ n'est pas quelque chose de nouveau quant aux faits, mais quant à la forme. Ce qui va être dit dans ces conférences a déjà été dit depuis des siècles dans des cercles plus intimes. La différence entre la façon actuelle et la façon précédente d'annoncer ces choses est qu'on peut s'adresser à présent à un plus grand nombre de personnes. Les cercles restreints dans lesquels les mêmes choses furent annoncées depuis des siècles au sein de la vie spirituelle européenne, avaient adopté pour symbole le même signe que vous voyez ici, la Rose-Croix (dans la salle de conférence). Et maintenant que cette annonce s'adresse à un plus grand public, et que la Rose-Croix peut être de nouveau reconnue comme le symbole de ce message, laissez-moi vous caractériser en quoi consiste à peu près ce message des Rose-Croix sur le Christ Jésus.

Les « Rose-Croix » sont une société qui depuis le XIVe siècle, au sein de la vie spirituelle de l'Europe, a cultivé un véritable christianisme spirituel ; cette société, en dehors de toute forme extérieure historique, a essayé de révéler à ses adhérents les plus profondes vérités du christianisme, leur donnant aussi le nom de « Chrétiens johannites ». Quand nous aurons compris cette expression, nous comprendrons aussi tout l'esprit et le sens des conférences qui vont suivre, et si notre entendement ne suffit pas pour tout expliquer, notre âme pourra quand même pressentir la vérité.

Nous savons que l’évangile de saint Jean, ce document magistral donné au genre humain, commence par ces mots :

« Au commencement était le Verbe
Et le Verbe était en Dieu
Et le Verbe était Dieu
Celui-ci était au commencement en Dieu. »

Le Verbe, ou Logos, était donc au commencement en Dieu et ensuite on dit de Lui que la Lumière brilla dans les ténèbres et que les ténèbres ne l'ont point comprise, que cette Lumière était dans le monde, qu'elle se trouvait parmi les hommes et que parmi eux il n'y eut qu'un petit nombre capable de la comprendre. (Note: Il est écrit dans la Genèse : « L'Esprit de Dieu planait sur les eaux. Et l'Esprit s'écria : Que la lumière soit ! et la Lumière fut ») Alors apparut le Verbe fait chair, sous la forme d'un homme. Celui dont Jean-Baptiste fut le précurseur. Et nous voyons comment ceux qui conçoivent l’importance de l’apparition du Christ sur la terre s'efforcent d'expliquer ce qu'est le Christ en réalité. L’auteur de l'Evangile de saint Jean nous montre directement que l'entité si profonde qui a existé dans ce Jésus de Nazareth n'est autre que celle dont sont issus tous les êtres qui vivent autour de nous - que c'est l`Esprit vivant, la Parole vivante, le Logos même.

Les autres évangélistes ont aussi essayé, chacun à sa façon de nous exposer ce qui est réellement apparu en Jésus de Nazareth. Nous voyons par exemple comment l'auteur de l’évangile de saint Luc s'efforce de démontrer qu'une chose toute spéciale eut lieu lorsque l'Esprit s'unit au corps de Jésus de Nazareth, au moment du baptême dans le Jourdain. Il expose que ce Jésus de Nazareth est le descendant d'une longue lignée d'ancêtres qui remontent jusqu'à David, jusqu'à Abraham, jusqu'à Adam et même jusqu'à Dieu. Remarquons bien que partout dans l’Evangile de saint Luc on indique distinctement que Jésus de Nazareth était le fils de Joseph, et que Joseph est le fils d'Héli, donc fils de David et finalement fils d'Adam qui l'était de Dieu ! L'auteur de l'Evangile de saint Luc attache une importance particulière au fait que Jésus de Nazareth, auquel l'Esprit s'était uni au moment du baptême dans le Jourdain, descend en droite ligne de celui qu’il appelle le père d'Adam : Dieu. Il faut prendre ces choses à la lettre.

Dans l’évangile de saint Matthieu, on essaye de remonter l’ascendance de Jésus de Nazareth jusqu'à Abraham auquel Dieu s'était révélé.

Par là et par maintes autres paroles dans les évangiles, l'individualité qui porte le Christ, qui le manifeste, est désignée comme la plus grande apparition spirituelle au sein de l’évolution humaine. Si la descente du Christ Jésus est regardée, par ceux qui pressentent sa grandeur, comme l'événement capital survenu au sein de l'évolution terrestre, ce Christ Jésus doit bien se rattacher à ce qu'il y a de plus essentiel et de plus sacré dans l'homme. Il faut donc qu'il existe quelque chose en l'homme qui se rapporte directement à l’événement christique. C'était là justement le point essentiel pour les chrétiens johannites des cercles rosicruciens : que dans chaque âme humaine existe quelque chose qui se rapporte directement aux faits qui ont lieu en Palestine concernant le Christ Jésus. Par conséquent, si le Christ Jésus est le plus grand évènement pour l'humanité, ce qui correspond dans l’âme humaine à cet évènement christique aura la plus grande importance. Qu'est-ce que c'est ? A cela les Rose-Croix répondent : Chaque âme humaine renferme la possibilité de ce qu'on peut appeler « Eveil », « Renaissance » ou « initiation ». Nous allons voir ce que ces mots signifient.

Quand nous portons nos regards vers les choses qui nous entourent, nous voyons qu'elles naissent et meurent. La fleur naît et meurt, la végétation apparaît et disparaît, et bien que les montagnes et les rochers paraissent pouvoir braver les siècles, le dicton : « La goutte d'eau continue creuse la pierre » nous dit déjà que les rochers et les montagnes mêmes sont soumis aux lois de la disparition. L'homme sait aussi que ce qui reçoit sa vie des éléments de la nature doit naître et périr ; non seulement. Ce qu'il appelle son corps naît et périt, mais aussi son « moi périssable ». Or ceux qui connaissent le chemin du monde spirituel savent que l'homme n'y accède pas au moyen des sens, mais par la voie de l'éveil, de la renaissance ou de l’initiation. Qu`est-ce qui renaît donc ?

Quand l’homme tourne ses regards vers le dedans de son âme, il constate que l'Être intérieur qu'il trouve en lui-même, c’est celui dont il dit : « Je, Moi. » A chaque objet du monde extérieur, on peut donner un nom tiré du dehors; à la table chacun peut dire table, à la montre, montre, etc. ; jamais cependant le mot « moi » ne peut résonner à notre oreille pour nous concerner, car le moi ne peut être exprimé que du dedans. Pour tout autre, nous sommes « toi ». L’homme reconnait déjà par cela même comment ce « moi » se distingue de tout ce qui se trouve en lui et autour de lui. Il faut ajouter à cela ce que les occultistes ont de tous temps affirmé : que de ce moi naît un Moi supérieur, comme l'enfant naît de la mère

L'homme entre d'abord dans la vie par la porte de l’enfance. Il regarde maladroitement les choses de son entourage ; puis il apprend à les connaître graduellement, développe peu à peu l’intellect et la volonté et nous le voyons grandir en force et en énergie. Mais de tous temps, il y a aussi eu des hommes qui ont dépassé ce développement ordinaire. Ils ont accédé, pour ainsi dire, à un second Moi, capable de dire « toi » au premier, comme celui-ci dit « toi » à son corps physique et au monde extérieur. Ce second Moi regarde d'en haut le premier moi.

Il plane ainsi devant l'âme humaine un idéal qui peut se réaliser pour ceux qui suivent les directives des occultistes. « Le moi que je connaissais jusqu'ici, se disent-ils, participe à tout le monde extérieur ; il est périssable comme ce monde : Il plane ainsi devant l'âme humaine un idéal qui peut se réaliser pour ceux qui suivent les directives des occultistes. « Le moi que je connaissais jusqu'ici, se disent-ils, participe à tout le monde extérieur ; il est périssable comme ce monde : mais en moi sommeille un deuxième Moi dont je peux arriver à prendre conscience ». Ce Moi est uni à l’impérissable comme le premier moi fait partie des choses périssables et temporelles. Par la renaissance, ce Moi supérieur pourra contempler les mondes spirituels, tout comme le moi inférieur peut regarder le monde sensible par les sens, les yeux, les oreilles, etc.

Ce qu'on appelle « éveil spirituel », « renaissance », « initiation », est l’événement le plus important de l’âme humaine ; telle était aussi l'opinion de ceux qui se reconnaissaient disciples de la Rose-Croix. Ils savaient qu'il doit y avoir un rapport entre l’évènement de la renaissance du Moi supérieur qui est capable de regarder d'en haut le moi inférieur et l’évènement du Christ Jésus. Autrement dit : ce qui est un évènement mystique pour chaque homme en particulier, ce qu'il peut expérimenter comme la naissance de son Moi supérieur, a eu lieu pour l’humanité entière dans le monde extérieur, historiquement, par l’événement du Christ Jésus en Palestine. _ Comment ce fait apparaissait-il à celui qui a écrit l’évangile de saint Luc ? Il s'est dit : « L'arbre généalogique de Jésus de Nazareth remonte jusqu'à Adam et jusqu'à Dieu lui-même. » Ce qui forme aujourd'hui l'humanité, ce qui a sa demeure dans les corps physiques humains, descendit jadis des hauteurs spirituelles divines; ce « quelque chose » est issu de l'Esprit et était jadis avec Dieu. Adam est celui qui fut envoyé des hauteurs spirituelles dans la matière ; en ce sens, il fut le Fils de Dieu. Jadis existait donc un règne divin, spirituel, qui se condensa et forma pour ainsi dire le règne terrestre périssable : Adam fut créé. Adam est l'image terrestre du Fils de Dieu ; et d'Adam descendent les hommes qui habitent les corps physiques. Or, en Jésus de Nazareth, a vécu d'une façon toute particulière non seulement ce qui vit en chaque homme en général, mais aussi quelque chose qu'on ne peut saisir que si l'on se rend compte que la véritable essence de l’homme est issue du Divin. En Jésus de Nazareth, cette descendance divine demeure visible. L'auteur de l’évangile selon saint Luc se trouve de ce fait en devoir de dire : Regardez celui que Jean-Baptiste a baptisé ; il porte les marques distinctes de la divinité d'où Adam a tiré son origine et qui se renouvelle en lui. De même que la divinité est descendue dans la matière pour s'enfouir, s'engloutir dans la race humaine, elle peut réapparaître à nouveau, en ressortir. L'humanité renaît au fond d'elle-même et dans son caractère divin en Jésus de Nazareth. Si donc nous remontons à l'origine de l'arbre généalogique de Jésus de Nazareth, c’est l'origine divine et les qualités du Fils de Dieu que nous retrouvons en lui, mais d'une manière nouvelle et avec plus de force que ce n'a pu être le cas jusqu'ici dans l'humanité.

L'auteur de l'évangile de saint Jean fait ressortir plus nettement que quelque chose de divin vit dans l'homme et que ce divin est apparu sous l'aspect grandiose de Dieu, du Logos même. Le dieu qui, pour ainsi dire, s'ensevelit dans la matière, renaît en Jésus de Nazareth. Voilà ce qu'ont voulu dire les évangélistes en commençant par des généalogies.

Et que dirent ceux qui reprirent les enseignements des évangiles, les chrétiens johannites ? Pour eux, tout homme peut vivre individuellement l'immense événement qu'on nomme la renaissance du Moi supérieur. Comme l'enfant de la mère, ainsi naît de l'homme le Moi divin. L'initiation, l'éveil spirituel est possible et lorsqu'il se produit, il y a autre chose qui prend plus d'importance que ce qui semblait auparavant important. Nous allons comprendre ce que c'est par une comparaison.

Supposons que nous nous trouvions devant un homme de 70 ans qui a passé par l'éveil intérieur; et supposons que cet homme ait vécu cet éveil à l'âge de 40 ans. Si un observateur avait voulu fixer en quelques traits le caractère de cet homme et démontrer qu'il présentait des conditions toutes spéciales dès sa naissance, il aurait fait l'histoire des 40 premières années. Mais ce qui s'est produit chez cet homme de 40 ans, c'est la naissance du Moi supérieur. A partir de ce moment, le Moi supérieur rayonne sur toutes les circonstances de sa vie : désormais, ce n'est plus le passé qui nous intéresse ; on se trouve en présence d'un homme nouveau duquel on va pouvoir suivre le développement du Moi supérieur qui grandit d'année en année. Quand cet homme aura atteint 70 ans, nous nous informerons du chemin que ce Moi supérieur aura parcouru de 40 à 70 ans ; cette période de sa vie est devenue la plus importante. L'essentiel pour nous, c’est qu'il nous montre à 40 ans son Moi spirituel véritable, tandis que jusqu'à 40 ans (avant la naissance du Moi supérieur en lui) sa vie avait été ordinaire, sans importance.

Voilà comment procèdent les auteurs des évangiles à l'égard de celui que nous nommons le Christ Jésus.

Les évangélistes se sont donnés pour tâche de démontrer avant tout que l'origine du Christ Jésus se confondait avec l'origine même de l'univers, avec Dieu lui-même. Le Dieu qui a résidé invisible dans l'humanité entière se révèle spécialement dans le Christ Jésus. C'est ce Dieu dont il est dit, dans l'évangile de saint Jean, qu'il existait dès l'origine, dès le commencement. L'intérêt des évangélistes, ce fut de démontrer que c'est bien ce même Dieu qui a vécu en Jésus de Nazareth.

Quant à ceux qui jusqu’à notre époque ont conservé la sagesse primordiale éternelle, leur but a été de démontrer comment le Moi supérieur, l'Esprit divin de l'humanité qui naquit en Jésus de Nazareth au temps des événements de Palestine, est resté le même et se conserve en tous ceux qui ont eu pour cela une réelle compréhension. Comme nous l'avons décrit dans notre exemple d'un homme en qui le Moi supérieur naîtrait vers 40 ans, ainsi les évangélistes ont décrit Dieu dans l'homme jusqu’à l'évènement de Palestine, comment ce Dieu est apparu, comment il est né à nouveau, etc. Mais ceux qui devaient se montrer les continuateurs des évangélistes ont eu à cœur de montrer que le moment de la « nouvelle naissance » du Moi supérieur est celui où l'on se trouve uniquement devant la partie spirituelle dont le rayonnement dépasse tout le reste. Ceux qui s'appelaient les chrétiens johannites et avaient pour symbole la Rose-Croix disaient : Ce qui est né à nouveau dans l'humanité, le mystère du Moi supérieur, a été conservé par la petite communauté issue des Rose-Croix. Cette continuité s'exprime par un symbole : la sainte coupe dans laquelle but et mangea le Christ Jésus avec ses disciples, celle qu'on appelle le « Saint-Graal » et dans laquelle fut recueilli, par Joseph d'Arimathie, le sang qui coulait des plaies du Christ. Elle fut, comme dit la légende, apportée par des Anges en Europe. Un temple fut érigé pour elle et les Rose-Croix devinrent les gardiens du contenu de cette coupe, c'est-à-dire de ce qui constitue l'essence de Dieu qui naît à nouveau, qui ressuscite. Le mystère du Dieu ressuscité (né à nouveau) règne dans l'humanité : c'est ce que représente le mystère du Saint-Graal.

C’est le mystère qui est placé devant nous comme un nouvel évangile. L'évangéliste Jean a pu dire : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu et un Dieu était la Parole. Ce qui était au commencement avec Dieu est né à nouveau chez celui que nous avons vu souffrir et mourir au Golgotha et qui est ressuscité ».

Cette continuité du principe divin à travers les âges et la nouvelle naissance de ce divin principe, voilà ce que l'auteur de l'évangile de saint Jean a voulu décrire. Mais tous ceux qui voulurent parler de ces faits, ont su que ce qui était depuis le commencement a été conservé. Au commencement existait le mystère du Moi humain supérieur ; ce mystère fut conservé par le Saint-Graal, il y est resté lié et dans le Graal vit le Moi, qui est uni à l`impérissable et à l'éternel, comme le moi inférieur est lié au péríssable et au mortel. Ceux qui connaissent le secret du Saint-Graal savent que du bois de la croix sort la Vie active, le Moi immortel symbolisé par les roses sur le bois noir de la croix. Ainsi le mystère de la Rose-Croix se présente comme une continuation de l'évangile de saint Jean et nous pouvons dire, en ce qui concerne cet évangile et ce qui le continue : « Au commencement était le Verbe et le Verbe ou la Parole était avec Dieu et un Dieu était la Parole. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle et sans elle rien n'a été fait de ce qui a été créé. En elle était la Vie et la Vie était la Lumière des hommes. Et la Lumière rayonna dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l'ont pas comprise.» Seuls de rares hommes, qui avaient en eux quelque chose de ce qui n'est pas né de la chair, ont compris la lumière qui rayonnait dans les ténèbres. Mais alors la lumière est devenue chair et a habité parmi les hommes sous la forme de Jésus de Nazareth. Et l’on peut dire, tout à fait dans le sens de l'évangile de saint Jean : « Le Christ qui a vécu en Jésus de Nazareth était le Moi supérieur divin de l'humanité entière, le Dieu né à nouveau, le Dieu qui déjà en Adam avait trouvé son image terrestre. Ce moi humain, né à nouveau, a continué d'agir comme un mystère sacré ; il fut conservé dans le symbole des Rose-Croix, le Saint-Graal. » Ce Moi supérieur qui peut naitre dans chaque âme humaine nous donne une indication au sujet de la naissance du Moi divin dans l'évolution de l'humanité lors de l'évènement de Palestine. Ainsi qu'en chaque homme peut naître individuellement le Moi supérieur, ainsi est né en Palestine le Moi supérieur de toute l'humaníté, le Moi divin. En considérant l'évolution humaine, nous ne rencontrons toutefois pas seulement ce grand événement, la renaissance du Moi supérieur ; nous en rencontrons quantité d'autres de moindre importance.

Avant que l'homme puisse enfanter son Moi supérieur, expérience qui embrasse et pénètre toute l'âme, avant la naissance du Moi impérissable dans le périssable, il faut avoir traversé de multiples degrés préparatoires. Et quand est atteint le niveau où l'homme peut se dire : « A présent, je sens, je sais, que quelque chose existe en moi qui regarde des hauteurs mon moi ordinaire, comme ce moi ordinaire regarde les choses sensibles ; à présent, je suis un « second » Être dans le premier, j'ai avancé et me suis élevé dans les régions où je suis uni aux Êtres divins », alors il reste à conquérir encore d'autres degrés d'une nature différente.

Ainsi, ce grand événement décisif, la naissance du Moi supérieur, peut s'accomplir dans chaque homme individuellement ; mais l'humanité, prise dans son ensemble, doit passer par une naissance analogue, la « nouvelle naissance » du Moi divin. Et également ici, il existe des degrés qui précèdent et d'autres qui suivent. Si nous portons nos regards en arrière vers les étapes préparatoires de l'événement christique, nous voyons que de grands faits l'ont amené ; nous voyons l'évangile du Christ s'approcher graduellement, ainsi que l'auteur de l’évangile de saint Luc le décrit : Premièrement existait un Dieu, un Être-Esprit, dans les hauteurs spirituelles ; il est descendu dans le monde matériel et il s'est fait homme, il est devenu « humanité ». Certes, avant le Christ, on pouvait déjà voir d'après toute l'orientation des choses humaines que l'homme repose sur un principe divin, mais le Dieu était pour ainsi dire caché derrière le monde physique terrestre ; et seuls pouvaient l'y trouver ceux qui savaient où il se trouve.

Remontons jusqu'à l’Inde antique, la première civilisation fondée après la grande catastrophe du déluge. Nous y trouvons sept grands saints Instructeurs qu'on appelle les saints Rishis. Ils parlaient d'un Être supérieur dont ils disaient : Notre sagesse peut bien pressentir cet Être sublime, mais elle est incapable de le voir ! Les sept Rishis sacrés voient très loin, mais c'est au-delà de leur sphère que se trouve celui qu'ils nommaient Vishva Karman, cet Être qui, tout en remplissant le monde spirituel, était au-delà de la sphère que l'œil humain clairvoyant de ces époques pouvait voir.

Ensuite vint la civilisation guidée par Zoroastre, celui qui disait : « Quand la perception clairvoyante se pose sur les choses du monde, sur les minéraux, les plantes, les animaux et les hommes, elle voit que ces choses recouvrent toutes sortes d’entités spirituelles. Cependant, l'Être spirituel auquel l'homme doit son existence véritable, celui qui devra un jour vivre dans les profondeurs du Moi humain, est encore invisible quand on regarde les choses de la terre ; on ne peut le voir ni par les yeux physiques, ni par les organes de la clairvoyance ! » Mais quand Zoroastre élevait son regard clairvoyant vers le Soleil, il ne voyait pas seulement le soleil physique ; et il disait : « Comme on voit autour de l'homme une aura, ainsi on voit autour du Soleil la grande aura solaire Aoura Mazdao. » C'est la grande Aura solaire qui, comme nous allons l'expliquer, avait produit l'homme. L'homme est l'image de l'Esprit Solaire, de l'Aoura Mazdao. Mais en ces temps, Aoura Mazdao n'habitait pas encore la terre. Ensuite vient le temps où l'homme, devenant clairvoyant, commence à percevoir Aoura Mazdao dans l'atmosphère terrestre ; ce n’était pas possible au temps de Zoroastre. Quand Zoroastre voyait par la perception clairvoyante ce qui se manifeste dans l'éclair et le tonnerre terrestres, ce n'était pas Aoura Mazdao qui se révélait, ce n'était pas le Grand Esprit Solaire, Prototype de l'humanité. Il fallait qu'il se tournât vers le Soleil pour y voir Aoura Mazdao. Zoroastre trouva en Moïse son successeur ; quand le regard spirituel de celui-ci s'éveilla, il aperçut dans le Buisson ardent, et dans le feu sur la montagne du Sinaï, l'Esprit qui se révéla à lui comme « Ejeh asher ejeh » : «Je suis celui qui était, qui est, qui sera ». Que s'était-il passé ?

Depuis les âges anciens et l'époque de Zoroastre, l'Esprit qui se trouvait auparavant seulement sur le soleil s'était rapproché de la terre. C'est lui qui rayonnait dans le Buisson ardent et dans le feu du Sinaï ; il se trouvait dans les éléments de la terre. Lorsque quelques époques se furent encore écoulées, cet Esprit que les Rishis pouvaient pressentir mais dont ils disaient : « Notre sagesse n'est pas encore capable de le voir », celui que Zoroastre devait chercher dans le soleil, celui qui se révélait à Moïse dans les éclairs et le tonnerre, apparut enfin dans un homme, en Jésus de Nazareth. Voilà le chemin accompli : le Christ est descendu des hauteurs de l'Univers, d'abord dans les éléments physiques et ensuite jusque dans un corps humain. Ce n`est qu'à ce moment que le Moi divin dont l'homme est issu renaît dans l'humanité, ce Moi auquel l'auteur de l'évangile de saint Luc rapporte l'arbre généalogique de Jésus de Nazareth. C'est alors que s'est accompli le grand événement de la nouvelle naissance du Dieu dans l'homme.

Par là nous voyons les degrés préliminaires que l'humanité a parcourus. Or, les maîtres qui avaient guidé cette évolution de l'humanité, durent aussi passer par ces étapes préparatoires jusqu'à ce qu'un seul d'entre eux eût assez progressé pour pouvoir devenir le porteur du Christ.

Ce que les saints Rishis vénéraient sous le nom de «Vishva Karman », ce que Zoroastre nommait l'« Aoura Mazdao » du soleil, ce que Moïse vénérait comme « Eieh asher eieh » allait apparaître en un seul homme, en Jésus de Nazareth, en une seule entité limitée, dans un homme terrestre. Mais pour qu'un Être aussi sublime pût venir habiter en un homme, il fallait que cet homme eût atteint lui-même un degré très élevé d'évolution. Aucun autre n'eût pu devenir le porteur d'un Être tel que Celui dont nous avons décrit la venue en ce monde. Pour nous, qui connaissons l'existence de la réincarnation, nous disons que Jésus de Nazareth (non pas le Christ) a passé par plusieurs incarnations et qu'il a dû atteindre un degré élevé d'initiation avant de pouvoir recevoir le Christ en lui. Or, qu'est-ce qui distingue la naissance et la vie d'un initié aussi élevé ? En général, on peut admettre qu'un homme ordinaire revêt en naissant une forme qui ressemble à celle de son incarnation antérieure. Il n'en est pas ainsi pour l'initié. L'initié ne pourrait être un guide de l’humanité s'il n'avait en lui que ce qui correspond à son être extérieur, édifié nécessairement d'après les conditions qu'offre le milieu. A la naissance d'un initié, une âme très avancée va s'introduire dans un corps, une âme ayant passé, dans des époques antérieures, par de formidables expériences. C'est pourquoi la légende dit de tous les initiés que leur naissance s'est déroulée autrement que pour les hommes ordinaires. Mais le corps est, au début, incapable de recueillir toute la nature spirituelle qui veut s'incarner en lui.

Pour qu'un initié très élevé s'incarne dans un corps humain périssable, il faut donc, plus que pour les autres hommes, que ce Moi, sur le point de se réincarner, entoure immédiatement la forme physique, plane autour d'elle. Tandis que chez l'homme ordinaire la forme physique prend, bientôt après la naissance, la ressemblance de la forme spirituelle et s'y adapte, à elle ou à l'aura humaine, l'aura de l'initié sur le point de se réincarner est rayonnante. C’est cette partie spirituelle qui annonce qu'on se trouve ici en face de quelque chose de supérieur à ce qu'on voit ordinairement. Elle annonce que non seulement un enfant naît dans le monde physique, mais qu'un événement a eu lieu dans le monde spirituel! C'est le sens des récits qui ont trait à la réincarnation de tous les grands initiés. Ce n'est pas simplement un enfant qui naît, mais, dans le spirituel, quelque chose naît qui ne pourra entièrement être contenu dans le corps physique. Seul celui qui possède la perception clairvoyante du monde spirituel peut le reconnaître. On raconte qu'à la naissance du Bouddha un initié reconnut que cet événement différait des naissances ordinaires. On dit aussi de Jésus de Nazareth que Jean-Baptiste devait d'abord l'annoncer. Quiconque voit dans les mondes spirituels sait que l'initié va venir et va se réincarner. Les trois rois Mages savaient cela et ils vinrent de l'Orient pour donner leurs offrandes à Jésus de Nazareth, et l'honorer dans sa naissance. La même chose a été vue par le prêtre initié qui dans le temple dit : « Je mourrai content maintenant que mes yeux ont contemplé celui qui sera le Sauveur du monde ! »

Il faut faire ici une distinction exacte; un initié très élevé renaît en Jésus de Nazareth, un esprit qui ne pourra être entièrement contenu dans le corps physique de l'enfant, un germe spirituel qui développera graduellement ce corps jusqu'au point où il pourra s'y incorporer. Mais alors, au moment où ce corps aura atteint la maturité voulue, c'est alors que Jean lui donnera le baptême, et qu'un Esprit plus sublime descendra s'unir à Jésus de Nazareth, c'est-à-dire que le Christ entrera en lui. C'est alors que Jean-Baptiste, le Précurseur du Christ Jésus, pourra dire : « C'est moi qui ai préparé les voies pour celui qui est plus grand que moi ; de ma bouche j'ai annoncé que le royaume des cieux, le royaume de Dieu est proche et que les hommes doivent changer leur esprit. Je suis venu parmi les hommes et j'ai pu leur dire qu'une impulsion spéciale allait entrer dans l'humanité. Comme le soleil monte au printemps pour annoncer que le renouveau commence, ainsi je suis apparu pour annoncer ce qui lèvera dans l'humanité, le Moi humain qui va s'incarner ».

Au moment où l'être humain en Jésus de Nazareth atteint le point culminant de son développement, de sorte que son corps humain est l'expression de son esprit, à ce moment il atteint la maturité nécessaire pour recevoir le Christ dans le baptême de saint Jean. Le corps de Jésus de Nazareth est à son apogée comme le soleil resplendissant au jour de la Saint-Jean. C'est là ce qui avait été prophétisé. A ce moment, l'esprit devait sortir des ténèbres comme le soleil qui grandit de plus en plus jusqu'au jour de la Saint-Jean et qui, arrivé à ce point, commence à diminuer. C'est ce que Jean-Baptiste devait exprimer : « Celui que les anciens prophètes ont annoncé, celui qui dans le royaume spirituel est nommé le fils de ce royaume, celui-là est apparu ! » Saint Jean- Baptiste agit jusqu'à ce point où les jours raccourcissent de nouveau et où les ténèbres reprennent le dessus; alors la lumière intérieure de l'esprit se prépare à briller de plus en plus au-dedans : c'est alors que le Christ rayonne dans Jésus de Nazareth.

Jean-Baptiste a ressenti la montée de Jésus de Nazareth comme la sienne propre, comme celle du soleil qui monte. Il dit : « A partir de maintenant, je diminuerai, comme le soleil diminue à partir du jour de la Saint-Jean; mais il augmente, Lui, le soleil spirituel et Il sort rayonnant des ténèbres. »

C'est ainsi qu'a commencé l'éveil, la renaissance du Moi humain dont dépend la résurrection de chaque Moi individuel.

L'événement le plus important dans l'évolution de tout homme est caractérisé par ces mots : du moi inférieur ressuscite le Moi immortel. Cette naissance est liée à l'événement capital de l'évolution, L'événement christique.

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