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LA NEUTRALISATION DE CE QUI NOUS REND EGOÏSTE

Conférence donnée par Rudolf Steiner

à Kassel, le 5 juillet 1909.

Des relations quasi infinies relient dans le monde chaque événement à l'ensemble de l'évolution universelle. Et nous ne comprendrons le mystère du Golgotha dans sa totalité qu'en saisissant l'importance universelle de cet événement.

Nous savons déjà que l'entité du Christ est décendue des régions supraterrestres vers notre terre, et que des êtres ont observé cette descente : Zoroastre dans le soleil, Moïse dans le Buisson ardent et l'éclair du Sinaï, et enfin ceux qui ont reconnu le Christ de son vivant dans le corps de Jésus de Nazareth. - Nous savons que les événements terrestres - et avant tout l'évolution humaine, sont en rapport avec tout le système solaire.

Portons nos regards sur un point précis de l'évolution; le moment où la croix est élevée sur le Golgotha, et où le sang coule des plaies du Christ Jésus.

Jusqu'à ce moment-là l'humanité a porté les conséquences de l'action qu'ont eues sur elle les entités lucifériennes et ahrimaniennes qui ont plongé l'homme dans la maya à l'égard du monde extérieur. Ainsi l'homme s'est trouvé pendant longtemps et se trouve encore aujourd'hui dans un état d'erreur, parce qu'il ne perçoit autour de lui que des impressions sensibles, matérielles, qu'il élabore dans ses représentations, sans voir l'esprit derrière elles. L'influence d'Ahrimane lui présente donc le monde extérieur sous un faux jour, et il se fait une conception erronée du monde spirituel. Nous avons vu quels sont les effets physiques de cette perception faussée. Une des conséquences de l'action de Lucifer et d'Ahrimane est que le sang de l'homme a permis de moins en moins à l'organisme de contempler le monde dans sa réalité; les relations consanguines de jadis ont corrompu, dissocié ce sang, l'ont tué en quelque sorte, ce qui engendra une possibilité croissante d'illusion. Car l'homme ne parvint plus à interroger l'antique sagesse des origines, celle qui lui enseigna que le monde extérieur n'est pas seulement matière, mais que l'esprit se trouve derrière le physique. Cet héritage fut perdu et l'homme rejeté toujours plus vers le monde physique, ainsi que la vie de ses pensées. Voilà ce qui transforma toutes ses impressions physiques en erreurs. Si l'action du Christ ne s'était produite, il aurait perdu la sagesse du passé pour ne posséder uniquement que le monde des sens, oubliant qu'il existe un monde spirituel. Ses yeux se seraient fermés à ce monde.

Considérons cette possibilité dans toutes ses conséquences. Ce n'est pas si simple de se représenter ainsi l'homme tombant dans l'erreur à l'égard des impressions sensibles. Essayez de concevoir réellement que toutes les impressions extérieures qui nous viennent du monde physique sont des illusions, des mirages; tels que sont les faits et les impressions qui viennent du monde sensible, ils sont faux et nous devons nous habituer à retrouver derrière eux leur vraie figure. L'un de ces faits tout particulièrement présente des difficultés et s'offre à nous dans le monde extérieur sous une forme erronée, comme une maya. Lequel est-ce ? - La mort. La mort, telle qu'elle nous apparaît dans le monde physique, telle qu'elle parle à notre connaissance qui ne peut plus comprendre que les faits extérieurs, la mort n'est plus comprise actuellement que sous son aspect matériel. On ne peut plus la voir que sous son aspect physique; et par là sont nées les vues les plus erronées précisément à l'égard de la mort. La forme qu'elle prend pour nous n'est qu'un mirage, une illusion.

Les phénomènes extérieurs les plus divers apparaissent à nos yeux : les étoiles brillent dans l'espace; ici les montagnes, les plantes, les bêtes; là, le monde des minéraux; enfin l'homme, et tout ce que nous observons en lui. Mais quand nous nous demandons d'où viennent ces faits matériels, il faut bien nous dire qu'ils viennent du monde spirituel. Ce monde physique repose sur l'esprit. Si nous remontons à la forme originelle de l'esprit, dont toute apparence sensible est née, nous y voyons « le fondement de toute vie » ce qu'on appelle dans l'ésotérisme chrétien le principe du Père. Toute créature repose sur ce principe divin du Père. C'est lui que recouvre le voile de l'illusion. Au lieu du mirage des sens, l'homme devrait voir en toutes le choses qui l'entourent ce principe du Père divin. Car toute chose et lui-même en font partie; mais ce principe ne se montre pas sous sa véritable forme. C'est parce que l'homme a souffert une diminution de ces facultés dont nous avons parlé qu'une erreur recouvre ce principe du Père.

Qu'y a-t-il au fond de cette grande illusion ? - Parmi tout ce que nous voyons, un fait est essentiel : la mort. Les choses physiques qui s'offrent à nos sens sont en réalité l'élément spirituel du Père divin qu'elles expriment. Si la mort s'est introduite dans la trame du monde sensible, c'est qu'eIle s'apparente pour nous à ce principe du Père. Du fait que l'homme a passé par l'évolution que nous connaissons, le principe du Père divin s'est recouvert de nombreux voiles, - et finalement du voile de la mort. Que doit donc rechercher l'homme ? le Père, le Père de l'univers ; il doit de même pouvoir se dire : la mort, c'est le Père ! Pourquoi donc une image faussée du Père nous apparaît-elle défigurée au point de nous apparaître sous les traits trompeurs de la mort ? - Parce qu'Ahrimane-Lucifer sont mêlés à notre vie. Pour que l'homme puisse être ramené de l'idée fausse qu'il se faisait de la mort jusqu'à une vue exacte, il fallait que quelque chose se passât. ll fallait qu'il fût instruit des véritables faits !

Ce qui devait se passer, c'est un événement qui mette sous ses yeux la véritable image de la mort.

Et ce fut la mission du Christ sur terre, de rendre à la mort son vrai visage.

La mort était le résultat des influences de Lucifer-Ahrimane dans l'humanité. Que devait donc faire celui qui voulait bannir du monde cette fausse image de la mort ?

Affranchir les hommes de ce qui en était la cause, Lucifer-Ahrimane. Mais cela, aucun être terrestre ne pouvait l'accomplir. Au cours de l'évolution, un être terrestre peut bien effacer les effets que lui-même a produits. Mais seul un être qui n'avait pas encore vécu sur terre au moment où Lucifer-Ahrimane y pénétrèrent pouvait faire échec à leur influence.

C'est alors au moment où la chose devait se faire, que l'être qui seul pouvait émousser l'action de Lucifer et d'Ahrimane, descendit sur terre, rejetant ainsi la cause qui avait introduit la mort dans le monde. Il fallait que cet être n'eût jamais eu de rapport avec quelque cause de mort que ce fût, en d'autres termes, avec tout ce qui avait créé le péché dans l'homme, le mal. Car, si la mort avait frappé un être soumis à l'influence de Lucifer-Ahrimane, elle aurait eu une raison d'être; et seule une mort sans cause acceptée par un être sans faute, une mort absolument innocente, pouvait être l'antidote de toute mort dans le péché.

C'est pourquoi un innocent a dû souffrir la mort, l'épouser, la subir. ll apporta par là à la vie humaine les forces qui font progressivement apparaître dans l'homme une véritable connaissance de la mort sous son vrai jour. Cette connaissance révèle que la mort, sous son aspect sensible, n'est pas la vérité, mais qu'elle existe au profit de la vie dans le monde spirituel; la mort du Christ pose les possibilités de la vie dans le monde spirituel.

Nous venons de voir que la Science spirituelle nourrit l'esprît. Mais cette nourriture n'est encore que peu de chose; elle augmentera toujours plus dans les incarnations suivantes. Il y a à cela toutefois une condition nécessaire que nous allons étudier maintenant.

La mort de l'innocent sur le Golgotha a donné la preuve qui deviendra peu à peu évidente à tous les hommes, celle qu'au fond la mort est identique au Père toujours vivant. Quand nous aurons appris par l'événement du Golgotha à comprendre que la mort extérieure n'a pas de sens, que dans le corps de Jésus de Nazareth a vécu le Christ auquel nous pouvons nous unir ; quand nous aurons reconnu que le signe de la mort sur la croix n'est qu'extérieur, et que la vie du Christ dans son corps éthérique est après la mort ce qu'elle était avant, que cette mort n'a donc pas atteint la vie, mais qu'elle est elle-même vie - nous verrons que Celui qui est attaché à la croix est désormais le symbole de cette vérité : la mort est la véritable dispensatrice de la vie. Comme de la graine sort la plante, la mort ne détruit pas, mais elle est la graine de la vie. Sa semence a été déposée dans le monde physique pour que celui-ci puisse être accueilli au sein de la vie. La réfutation de la mort a été donnée sur la croix par cette mort qui est en contradiction avec les lois humaines, la mort de l'innocent.

Nous avons vu précédemment que le moi de l'homme a pour instrument physique le sang. C'est pourquoi le moi tombe d'autant plus dans l'illusion, la maya, que ce sang se corrompt. Mais aussi l'homme doit la possibilité de relever son moi au fait qu'il possède ce sang. Il doit l'aspect spirituel du moi à sa faculté de se distinguer du monde spirituel, d'être une individualité. Mais il fallut pour cela qu'il perdit la vue du monde spirituel. Or ce qui lui a retiré cette vue, c'est justement la mort. Si l'homme avait toujours su que la mort est la semence de la vie, il n'aurait pas acquis de personnalité ; il serait resté uni au monde spirituel. Mais la mort vint, lui donnant l'illusion qu'il était séparé de ce monde, lui apprenant à être lui-même. Il le devint même avec tant d'exagération qu'il dépassa le niveau nécessaire. ll fallut créer une compensation en enlevant au moi la force qui l'avait poussé à dépasser la mesure : l'égoïsme (pas seulement le sens du moi, l'égoïté, mais l'égoïsme). Cet égoïsme fut expulsé en principe, de sorte qu'il put être dorénavant expulsé de chaque moi individuel, lorsque sur la croix le sang coula des plaies.

Dans ce sang nous voyons le symbole réel du trop-plein d'égoïsme que contenait le moi humain. Le sang est l'expression du moi ; et celui qui coule sur le Golgotha est l'expression de ce qui, dans ce moi humain, a dépassé la mesure. S'il n'avait pas coulé, l'homme se serait endurci dans son égoïsme et n'aurait pu échapper au destin que nous avons décrit hier. Le premier élan donné pour que disparaisse de l'homme ce qui le rend égoïste vient de ce sang.

Or, chaque événement physique a pour contre-partie un événement spirituel. Tandis que le sang coulait sur le Golgotha, un fait spirituel survenait. A ce moment-là et pour la première fois, il commença à émaner de la terre des rayons qui n'existaient pas auparavant et qui se répandirent dans l'univers; de sorte que nous pouvons nous la représenter dans l'espace comme projetant des rayons apparus à ce moment. Au cours des temps précédents, la terre s'était assombrie toujours davantage. Lorsque le sang coule au Golgotha, elle commence à rayonner !

Si un être placé sur un corps céleste avait pu observer par la clairvoyance la terre avant le Christ, il aurait vu cette aura terrestre s'assombrir progressivement et atteindre son point le plus obscur au temps où s'accomplit le mystère du Golgotha. Mais il aurait vu ensuite cette aura se répandre en couleurs nouvelles. Car ce mystère a pénétré la terre d'une lumière astrale qui peu à peu se transforme en lumière éthérique, puis en lumière physique. Car dans l'univers tout évolue. Ce qui est aujourd'hui « Soleil » fut autrefois planète. Comme l'ancien Saturne est devenu l'ancien Soleil, notre terre, aujourd'hui planète, deviendra soleil. La première impulsion qu'elle a reçue dans ce sens lui fut donnée quand, des plaies du Sauveur, le sang coula sur le Golgotha. Elle commença à briller d'une lumière d'abord astrale et perceptible seulement au clairvoyant ; mais cette lumière deviendra une lumière physique, et la terre sera un astre brillant, un corps solaire.

J'ai déjà eu souvent l'occasion de vous dire qu'un corps céleste n'apparaît pas parce que la lumière physique se condense, mais parce qu'un nouveau centre spirituel est créé par un être spirituel. C'est de l'esprit que part la formation d'un corps céleste. Ce que notre terre sera dans l'avenir vit tout d'abord dans l'aura astrale, germe précurseur d'un soleil. Mais ce qu'un homme voit avec ses sens trompeurs n'est pas la vérité; c'est ce qui meurt. Plus la terre devient « Soleil », plus cette maya est consumée par le feu solaire. La terre a été ainsi traversée d'une force nouvelle qui doit la mener à devenir un soleil et cette même force est pour l'homme la force du Christ rayonnant dans son corps éthérique. Grâce à la lumière astrale qui a pénétré le corps éthérique de ses rayons, la vie dont nous avons besoin pour l'avenir nous est donnée. En comparant entre elles deux périodes de temps, celle du mystère du Golgotha et une époque ultérieure, on peut se dire : autrefois aucun rayonnement de la terre ne pouvait entrer dans les corps éthériques. Après la venue du Christ, le corps éthérique de ceux qui ont trouvé un contact avec l'impulsion christique est traversé de rayons. Ceux qui l'ont reçue en eux ont pris de la force rayonnante qu'il a déposée dans la terre. Ils ont pris dans leur corps éthérique la lumière du Christ.

Les corps éthériques renferment toujours depuis lors une portion de la lumière christique. Quel en est le résultat pour cette partie du corps éthérique où la lumière du Christ pénètre, notamment après la mort ?

Depuis ce temps, quelque chose de nouveau peut apparaître dans le corps éthérique sur quoi la mort n'a pas prise, quelque chose de vivant, d'immortel. Tant que l'homme succombera encore sur terre à l'illusion de la mort, ce quelque chose y échappera, sera sauvé des forces terrestres de décomposition. Et ce que les hommes acquièrent ainsi par l'action du Christ se reflète dans tout l'espace universel pour y former (avec plus ou moins d'intensité d'après les hommes) une force rayonnante. De cette force se construira autour de la terre une sphère qui deviendra un soleil. Une sorte de sphère spirituelle se compose dans l'atmosphère de la terre des corps éthériques devenus vivants, et c'est le reflet de la lumière du Christ dans l'atmosphère terrestre. La lumière du Christ ainsi reflétée, conséquence de sa venue sur terre, c'est ce que le Christ appelle le Saint-Esprit ! Aussi vrai qu'à partir du mystère du Golgotha, la terre commence à devenir un soleil, aussi vrai elle commence ainsi à émaner une force créatrice et à former autour d'elle un anneau spirituel qui sera plus tard comme une sorte de planète autour de la terre.

Ainsi lorsque la croix s'est élevée sur le Golgotha et que le sang a coulé des plaies du Christ, un événement grandiose s'est passé, un nouveau centre s'est créé dans l'univers. Et nous autres hommes, nous avons assisté à cet événement, que ce soit dans notre corps physique ou hors de lui entre deux existences terrestres. Mais il s'agit maintenant que nous comprenions qu'en contemplant le Christ à l'agonie, c'est à la naissance d'un nouveau soleíl que nous assistons.

Le Christ épouse la mort, qui est devenue sur terre l'expression du Père spirituel. Le Christ va vers le Père en épousant la mort, - et l'image physique de la mort ne correspond plus à une réalité; car la mort devient la semence d'un nouveau soleil dans l'univers. - Si nous comprenons bien ce qui se passe alors, nous sentirons que c'est le point tournant capital au sein de toute l'évolution humaine.

Quand les hommes possédaient encore une clairvoyance vague et qu'ils évoquaient leur vie passée, ils pouvaient remonter jusqu'à leur naissance et avaient conscience qu'en naissant ils étaient sortis du sein spirituel de la divinité. lls ne prenaient pas la naissance pour un début. lls savaient qu'en eux existait un esprit que la mort ne pouvait atteindre. Naissance et mort n'existaient pas au sens actuel de ces mots. Elles ne prirent que peu à peu leur apparence trompeuse en se revêtant de la forme extérieure du Père, quant à la mort du moins. Les hommes, observant la mort, virent comment en apparence elle détruisait la vie. Et elle devint pour eux le symbole de l'opposé de la vie. Si la vie causait bien des souffrances, la mort était une souffrance pire encore.

Avant la venue du Christ, comment devait apparaître la mort, même à un être spirituel observant l'humanité d'en haut ? Nécessairement sous la forme que Bouddha a exprimée.

Bouddha sortit un jour de la demeure royale, où il n'avait rien d'autre que tout ce qui peut donner le goût de la vie. Or, il rencontra un misérable, puis un malade, et enfin un mort. Et c'est après cette triple expérience que les mots lui vinrent à l'esprit : Etre malade, c'est souffrir ! Vieillir, c'est souffrir! Mourir, c'est souffrir ! - Voilà ce que l'humanité ressentit ; Bouddha recueillit ce sentiment dans sa grande âme, et l'exprima.
Six cents ans plus tard le Christ venait sur terre. Six cents ans après le Bouddha, des hommes pouvaient contempler la croix et le cadavre qui y était attaché et se dire : Voilà le symbole de cette semence de toute vie! Ils comprenaient la mort sous sa vraie forme.

Le Christ Jésus s'est donné à la mort qui est l'expression du Père, et de cette union du Christ et de la mort, un nouveau soleil de vie est né. Il n'est pas vrai que la mort signifie souffrance. Quand les hommes, dans l'avenir, sauront laisser la mort venir à eux comme elle est allée au Christ, elle sera un germe de vie. Et ils contribueront à former un système planétaire nouveau lorsque, ayant reçu l'impulsion du Christ, ils donneront de leur propre moi pour nourrir ce soleil de vie.

On pourrait objecter : Voilà ce que dit la science spirituelle ! Mais comment concilier cette cosmologie avec l'évangile ? Le Christ a instruit ceux qui furent ses disciples d'après la méthode qui était nécessaire pour leur faire comprendre l'événement capital qui allait se passer : il leur a parlé en paraboles. Mais un moment vient où les disciples sont assez préparés pour recevoir les vérités sans ce vêtement. Le Christ alors leur parle sans métaphores, car ils veulent entendre le nom de celui qui l'a envoyé dans ce monde, ce nom si important (Jean 16:24 ) :

« Jusqu'à maintenant vous n'aurez rien demandé en mon nom ; demandez et vous recevrez afin que votre joie soit parfaite. »
« Je vous ai dit ces choses en paraboles. L'heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père. »

Le moment est venu où il va parler du Père à ses disciples.

« En ce jour-là, vous demanderez en mon nom. Et je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous.
« Car le Père vous aime lui-même, parce que vous m'avez aimé, et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu.
« Je suis sorti du Père.

Il provient naturellement du Père, non pas sous une forme trompeuse et altérée, mais sous une forme véritable.

« Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ; je quitte de nouveau le monde et je vais auprès du Père.»

C'est à ce moment que la lumière se fait dans l'esprit des disciples ; ils se sont développés et comprennent que le monde qui les entoure est la manifestation extérieure du Père, et que ce qui est le plus important dans ce monde, là aussi où il est le plus maya, illusion, c'est la mort, l'un des noms du Père. Tout s'éclaire pour les apôtres. Lisons le texte.

« Ses disciples lui dirent : Voici que maintenant vous parlez ouvertement et ne dites plus de paraboles.
« Maintenant nous savons que vous savez toutes choses, et que vous n'avez pas besoin que personne vous interroge ; voilà pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu. Jésus leur répondit : Vous croyez à présent.
« Voici que l'heure vient, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés, chacun de son côté, et où vous me laisserez seul. Mais je ne suis pas seul, car le Père est avec moi.
« Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Dans le monde, vous aurez des afflictions; mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde.»

Les apôtres savaient-ils où il allait maintenant ? Oui, ils savent désormais qu'il va vers la mort, s'unir à elle. - Relisez ce qu'il leur dit après qu'ils eurent compris ces paroles : « Je suis sorti de la mort, sous sa véritable forme, du Père de Vie, et je suis venu dans le monde; je quitte de nouveau ce monde, et je vais vers le Père. » Ils lui disent alors :

« Nous savons maintenant que vous savez toutes choses, et vous n'avez pas besoin que personne vous interroge ; voilà pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu.»

Les apôtres savent que le vrai visage de la mort repose dans l'esprit du Père. Ainsi le Christ dévoile à ses disciples le nom de la mort, derrière laquelle se trouve la source de la vie suprême. Le nouveau soleil de vie ne serait jamais apparu si la mort n'était venue dans le monde pour y être vaincue par le Christ. Le Christ est descendu sur terre parce que le visage du Père était défiguré et il l'a rétabli dans sa vérité. Le Fils est vraiment sorti du Père pour en révéler la vraie face, pour en manifester la vraie nature, à savoir la vie éternelle cachée sous les apparences éphémères de la mort.

Il ne s'agit pas ici d'une cosmologie créée par la science spirituelle, mais de l'explication qu'il faut posséder pour tirer de l'évangile toute la profondeur qu'il contient. Celui qui a écrit cet évangile y a enclos des vérités dont l'humanité pourra se nourrir pour tous les temps à venir; plus elle les comprendra, plus elle acquerra une sagesse nouvelle, plus elle remontera vers le monde spirituel. - Mais la chose ne se fera que progressivement. C'est pourquoi ceux qui dirigent l'évolution chrétienne ont permis qu'il y ait des livres annexes. Ces livres ne sont pas là seulement pour les hommes de bonne volonté, comme l'évangile de saint Jean, qui est un héritage du Christ pour toute l'éternité, mais ils sont là pour les temps actuels.

D'abord il y eut un livre qui enseigna aux premiers siècles chrétiens l'essentiel de ce qu'on pouvait y apprendre sur l'événement du Christ. Certes, par rapport à toute l'humanité, il n'y eut que peu d'hommes qui surent exactement de quoi il s'agissait. Ce premier livre de commentaires qui fut donné, sinon aux élus, du moins aux choisis, ce fut l'évangile de saint Marc. Cet évangile fut composé précisément de manière à être facilement compris par les hommes de cette époque-là. Dans les temps qui suivirent, on commença à le moins bien comprendre ; l'entendement humain s'ouvrait surtout à l'action intérieure du Christ sur l'âme humaine et on tenait en un certain mépris le monde physique. On avait tendance à se dire que ce ne sont pas les biens temporels qui sont précieux ; le seul trésor est dans l'âme de l'homme. C'est aussi l'époque où par exemple Tauler écrit son livre « La vie pauvre du Christ » ; et c'est l'évangile de saint Luc qui est alors le mieux compris. Disciple de Saul, saint Luc est un de ceux qui ont transformé l'évangile paulinien pour l'adapter à son temps, de sorte que ce qui en ressort avant tout, c'est la vie de pauvreté de Jésus de Nazareth, né dans une étable auprès d'humbles bergers. Et l'ouvrage de Tauler est un reflet de l'évangile de saint Luc.

A notre époque se rencontrent un certain nombre d'esprits qui tirent de l'évangile de saint Matthieu ce qui est le plus conforme à l'esprit actuel. Et bien que ce ne soit pas en fait cet evangile que l'on met au-dessus des autres, c'est pourtant ce qu'il enseigne qui est le mieux compris. Un temps viendra où l'on avouera que l'on ne peut rien comprendre aux phénomènes suprasensibles qui se déroulent au moment du baptême dans le Jourdain. Cet avenir est encore éloigné. Nous sommes actuellement à l'époque où l'on ne veut de plus en plus voir en celui qui, à trente ans a reçu le Christ en lui, que «l'innocent de Nazareth ».

Pour ceux qui attachent moins d'importance au Christ qu'au grand initié Jésus de Nazareth, l'évangile de saint Matthieu aura une importance particulière. Ouvrant l'évangile de saint Matthieu, ils y trouvent une généalogie, une lignée d'ancêtres; d'Abraham à Joseph, il y a trois fois quatorze générations : Abraham enfanta Isaac, Isaac enfanta Jacob, etc. Or cette généalogie se trouve là. pour expliquer la lignée physique, la descendance du corps dans lequel Jésus de Nazareth est né. Si l'on ne pense pas que Joseph soit, le père de Jésus, toute cette généalogie n'a aucun sens. Si l'on parle d'une naissance suprasensible, à quoi sert-elle, pourquoi s'efforcer de décrire ces trois fois quatorze ancêtres, si l'on veut dire ensuite : « Jésus de Nazareth n'était pas d'après la chair le fils de Joseph. ». On ne comprendra l'évangile de saint Matthieu qu'en insistant sur le fait que l'individualité de Jésus nait dans un corps qui descend vraiment d'Abraham par Joseph. L'intention ne peut être méconnue, et Joseph ne peut être supprimé aux yeux de ceux qui ne peuvent comprendre la naissance suprasensible au baptême de Jean. Or, l'évangile de saint Matthieu a été écrit dans une communauté pour laquelle l'essentiel n'était pas le Christ, mais la personne du grand initié Jésus de Nazareth. L'évangile de saint Matthieu repose sur les documents initiatiques que connaissaient les gnostiques ébionites. C'est pourquoi on attache une importance primordiale à l'initié Jésus de Nazareth ; on comprend mieux ces choses quand on sait qu'elles sont dans l'évangile ébionite. Par là l'évangile de saint Matthieu peut prendre cette atmosphère, qu'il n'a pas en réalité, mais qu'on peut facilement y introduire. En le lisant, on peut se dire : Il n'est vraiment pas question là-dedans de naissance surnaturelle. Et on y trouve alors le symbole d'un Dieu qui n'apparaît plus que comme un homme. Ce n'est pourtant pas ce que saint Matthieu voulait dire. Mais les hommes de cette mentalité, et ils seront toujours plus nombreux, l'interprètent ainsi.

Pour qu'il ne soit impossible à personne de s'approcher du Christ, les mesures furent prises pour que ceux qui ne peuvent encore s'élever de Jésus au Christ, trouvent dans l'évangile de saint Matthieu un des degrés par lesquels ils ont du moins accès à Jésus de Nazareth.

Mais la mission de la Science spirituelle est d'ouvrir l'accès de l'Evangile des évangiles, celui de saint Jean. Tous les autres peuvent être considérés comme complémentaires de celui-là. Car c'est sur lui qu'ils reposent. Et nous ne comprenons bien ces autres évangiles qu'en les plaçant sur cette base.

L'intelligence de l'évangile selon saint Jean conduira l'humanité à la compréhension la plus étendue du mystère du Golgotha ; de la mort perdant pour l'évolution humaine son aspect trompeur. Ce qui s'est passé sur le Golgotha ne démontre pas seulement à notre connaissance que la mort est en réalité la source de toute vie, mais que l'homme peut prendre en face de la mort une position qui lui permette d'infuser toujours plus de vie en lui jusqu'au point de vaincre la mort. C'est cette vision qui se révéla à Saul lorsque, sur le chemin de Damas, il vit le Christ vivant et contempla d'un regard devenu clairvoyant l'atmosphère de la terre. Initié au sens de l'ancien Testament, il sut qu'auparavant la terre était obscure, mais que maintenant une lumière était en elle ; le Christ était donc là ; celui qui avait été attaché à la croix, c'était donc bien Christ dans Jésus de Nazareth !

Au chemin de Damas, Saul comprit ce qui s'était passé sur le Golgotha.

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